Blocages des raffineries et pénuries de carburant. Quels impacts sur les prix ?
1 juin 2016Emmanuel Frot & Ignacio Inoa
Le 17 mai 2016 la raffinerie de Donges (44) fut la première à entrer en grève contre la Loi Travail. Le mouvement de contestation s’est ensuite peu à peu étendu à presque toutes les raffineries et dépôts pétroliers de l’Hexagone. Depuis une semaine déjà, l’approvisionnement des stations-service est à son tour fortement affecté. Ce n’est pas la première fois que les grèves touchent les raffineries pétrolières du territoire français. À l’automne 2010, la mobilisation sociale contre la réforme des retraites bloquait aussi la raffinerie de Donges en premier, le 7 octobre 2010.
Ces blocages modifient profondément l’offre de carburant disponible en créant des pénuries. Ils affectent aussi la demande, les stations approvisionnées profitant d’un surplus de demande massif sur une durée courte. Ces bouleversements de la structure habituelle du marché entraînent-t-ils une hausse des prix à la pompe ? Les automobilistes subissent-ils une double peine du fait des blocages : des prix plus élevés du fait de la pénurie s’ajoutant à la difficulté à trouver des stations-service approvisionnées ?
Le cabinet de conseil en économie Microeconomix a lancé en septembre 2015 le site prixdescarburants.info pour suivre, comparer et analyser les prix des carburants en France métropolitaine. Le site repose sur les données mises à disposition par le site gouvernemental des prix des carburants (prix-carburants.gouv.fr) de manière libre et est mis à jour quotidiennement. Il offre un outil unique d’analyse de l’impact des pénuries sur les prix.
Sur la base des données historiques des prix des carburants, Microeconomix propose ainsi d’étudier l’impact des blocages des raffineries sur les prix des carburants et de comparer les situations en 2010 et en 2016. Cette analyse sera mise à jour tous les jours dans l’onglet « Impact des blocages » du site prixdescarburants.info, permettant ainsi à chacun d’apprécier les évolutions des prix suite aux blocages.
Le prix moyen des carburants a augmenté suite aux blocages des raffineries en 2010
Le cabinet Microeconomix a récupéré les données historiques des prix par station-service en 2010 et en 2016 et a calculé les prix moyen nationaux du gazole et du SP95.
Le graphique suivant indique le prix moyen des carburants en France métropolitaine entre août et décembre 2010. La période de blocage des raffineries est indiquée en gris entre la date du premier blocage à Donges, le 7 octobre 2010, et le début des déblocages par les forces de l’ordre à Donges, Le Mans et La Rochelle, le 20 octobre 2010.
On constate que les prix des carburants ont augmenté d’environ 3 centimes d’euros par litre entre le début et la fin des blocages. Cela représente une augmentation de 2,2 % pour le SP95 et de 2,6 % pour le gazole en 13 jours. La fin des blocages a enrayé cette hausse, sans pour autant que les prix ne retrouvent leur niveau précédant les blocages.
L’impact des blocages sur les prix des carburants est pour le moment plus important en 2016 qu’en 2010. Sommes-nous à l’heure actuelle dans le même cas de figure qu’en 2010 ?
En observant les évolutions parallèles des prix en 2010 et 2016, il est possible d’observer les hausses comparatives durant les blocages de ces deux années. Les premiers éléments disponibles démontrent que l’impact sur les prix est plus important en 2016 qu’en 2010.
Le graphique ci-dessous présente les prix du gazole en 2010 et 2016 les 4 semaines avant et après le début des blocages de raffineries. A l’heure actuelle, on remarque déjà une augmentation de l’ordre de 4,5 % (+5 centimes d’euros par litre) du prix du gazole, seulement huit jours après le début des blocages. Pour la même période en 2010, l’augmentation n’avait été que de 1,7 % (+2 centimes d’euros par litre) du prix du gazole.
Les marges des pétroliers augmentent les semaines qui suivent le début des blocages
Les hausses de prix mises en évidence précédemment coïncident avec les blocages. Elles pourraient cependant aussi être dues à une hausse concomitante des cours du baril de pétrole brut. Afin de distinguer ces deux influences, Microeconomix a reconstruit, à partir des cours du brent, des taxes prélevées à la pompe et des prix des carburants, la marge de distribution et raffinage des pétroliers. Elle représente en général entre 15 et 20 % du prix payé à la pompe par les automobilistes mais la question clé est d’examiner si cette marge augmente durant les pénuries de carburants.
Le graphique suivant montre les marges des pétroliers en euros par litre par jour pour le gazole, quatre semaines avant et huit semaines après le début des blocages.
Lors des mobilisations contre la réforme des retraites en octobre 2010, on constate que dans les semaines avant le début des blocages, la marge des pétroliers était aux alentours de 0,20 euros par litre en moyenne. Les marges de pétroliers ont ensuite augmenté au fur et à mesure des blocages pour finalement atteindre un pic de 0,25 euros par litre à la 16ème journée après le début des blocages. Cela représente une augmentation d’environ 25 % (soit 5 centimes d’euros par litre). Surtout, la marge des pétroliers a chuté lors du retour à une situation normale et n’a retrouvé son niveau d’avant blocage que 8 semaines plus tard. Ces éléments démontrent que les hausses de prix reflètent des hausses de marge : en modifiant le degré de concurrence entre stations et affectant la demande, la pénurie entraîne un surcoût pour les automobilistes.
L’impact des blocages sur les prix des carburants n’est pas le même partout en France
Les effets des blocages sur les prix sont hétérogènes entre les départements. La carte suivante présente la hausse moyenne des prix du gazole par département depuis le début des blocages.
Il existe une grande dispersion nationale des effets des blocages sur les prix des carburants, certains départements subissant des hausses de plus de 7 %, tandis que les prix restent stables dans d’autres. La dispersion nationale pour le gazole est évidente sur la carte suivante où sont affichées les hausses moyenne des prix (en %) par département depuis le début des blocages du mouvement social actuel contre la Loi Travail. Les effets les plus importants sont observés dans la Seine-Saint-Denis, le Tarn, la Sarthe, et dans la Somme. Ces départements ont connu, 8 jours depuis le début des blocages, des hausses de prix supérieures à 7 %. A l’inverse, le Lot et le Cantal affichent des hausses inférieures à 2 %.